Ca y est, je suis rentrée en France, et m’occupe plus tard que prévu de mes réflexions germées en Turquie. Celles qui suivent ont pris forme, en esprit à Ayasophia (Istanbul), et en mots à Kuşadası, plus au sud de la Turquie.
Si je dois faire le point touristique, j’ai fait le tour de la fameuse check-list du « parfait » touriste à Istanbul. Au moment où j’écris ces lignes, j’ai déjà quitté Istanbul et ne la reverrai pas avant mon retour en France. Que me restera-t-il de ce voyage ? Sans doute, « scandaleusement », je ne retiendrai pas grand-chose des grands monuments historiques, qui font pourtant la fierté des habitants. Quelques flashs, quelques bribes visuelles, qui se flouteront tranquillement au fil du temps.
Je sais exactement pourquoi : parce que ces passages obligés du touriste m’ennuient plutôt. Parce que je les trouve hermétiques. Je n’y vois, souvent, pas beaucoup plus que les erreurs habituelles des humains « puissants » – vanités à base de dorures et de mégalomanie. Ce n’est pas nouveau, je ne parviens pas à me laisser éblouir par les ouvrages humains. Aussi grandes soient l’audace dans la conception, l’importance des moyens mis en oeuvre dans la réalisation, la finesse d’exécution… Je ne vois toujours qu’un travail d’agencement de matière. Ni meilleur, ni moins bon que celui des fourmis.
Je reconnais l’ingéniosité des techniques bien sûr, et son évolution au cours de l’Histoire. Mais le résultat final, lui… reste de ce monde. Et la Vie que je cherche sans cesse, je ne la trouve pas dans la pierre, si joliment agencée soit-elle. Alors je regarde les touristes grouillant là, à AyaSophia (huitième Merveille du Monde, dit-on ici) et je me demande si eux, trouvent ce qu’ils sont venus chercher ; si, peut-être, ils voient quelque chose que je ne verrais pas ; ou s’ils sont là simplement, comme ils pourraient l’être à Disneyland Paris : pour tuer leur ennui existentiel par le divertissement.
Pour ma part, les lumières clignotantes du divertissement agissent plutôt à l’inverse : elles attisent mon ennui existentiel. Les vanités que je vois ne détournent pas mon esprit de la mort, bien au contraire. Je ne peux pas accorder plus d’aura sacrée aux monuments anciens – tout religieux soient-ils – que je ne pourrais en accorder à des châteaux de sable. Les réalisations de ce monde appartiennent à ce monde, et se soumettent à ses lois. On peut bien tenter de toucher le ciel avec nos tours ; elles ne le toucheront pas plus que la simple fourmilière. Après tout le ciel commence au ras du sol.
Alors concevoir avec audace, certes oui – ne nous privons pas de ce bon bol d’exaltation pour attaquer la journée avec entrain. Mais pour ce qui est de la réalisation, n’oublions pas de nous y atteler avec la désinvolture de l’enfant qui joue et sait : la mer aura tôt fait d’emporter son château de sable à la fin de la journée.
Je me souhaite le même détachement à l’avenir, quelques soient mes constructions dans ce monde. Cet article est d’ailleurs bien trop long, il aurait pu tenir en quelques mots. Je peux bien empiler encore mille et mille autres de ces mots… Pour que ma construction puisse être mieux vue de tous, y compris de moi-même ; pour que le temps érode moins vite ma mémoire. Vue du ciel, ce ne sera toujours qu’une motte de terre, vite aplanie par les foulements de pas – de mes pas et et de ceux du monde.
Oui, les mots eux aussi sont matière. Les textes sont ni plus ni moins que des galeries de fourmis. Et les idées, j’en viens à les soupçonner d’être faites de terre également, n’en déplaise à Platon. Elles aussi, ont cette faculté terrible de divertir, de faire écran, et de dissimuler la Vérité, la Vie. Celle que je cherche plus que tout. Nue, brute, vibrante.
Et il y a fort à parier que je l’aurai trouvée, quand je pourrai enfin me taire.